Origine du livre sur Chambois
Enfant, j’ai passé une partie de mes vacances dans l’Orne, à Chambois, chez mes grands-parents, Jacqueline et René Hoyeau. A cette époque, j’ai eu maintes occasions de parcourir la vallée de la Dives dans le sillage de mon grand-père, découvrant des lieux aux noms mystérieux et inquiétants, « Le Trou du Diable » ou « Le Couloir de la Mort. » C’étaient des endroits, me disait-il, où on s’était battu, où il y avait eu la guerre… La guerre… Quel sens pouvais-je donner à un tel mot à un âge si jeune, si tendre ? Les éclats tordus, les douilles, les ressorts qu’il me dénichait au gué de Moissy, au bois de la Garenne ou au Douit-Morin aiguisaient certes ma curiosité, sans pour autant me faire réaliser ce qu’il s’était réellement passé sur ces terres près de quarante ans auparavant. Néanmoins j’aimais l’entendre raconter ses histoires sur un temps ancien, plus ou moins lointain à mes yeux.
L’enfant que j’étais a grandi, tout comme mon intérêt pour le passé. Et c’est presque naturellement que j’ai suivi des études d’histoire à l’université de Caen. Le hasard a voulu qu’en première année de Deug, en 1996, pour la valeur HI-211 sur la Seconde Guerre mondiale, Jean Quellien et Michel Boivin aient demandé à tous leurs étudiants de réaliser un petit mémoire sur un village ou une ville de Basse-Normandie durant le conflit. Mon sujet ne fut pas long à déterminer. J’avais décidé de redonner vie aux événements qui s’étaient déroulés le long du Couloir de la Mort, je voulais ressusciter les moments qu’avaient connus les habitants réfugiés au Trou du Diable… Mon modeste mémoire allait traiter des « Civils dans la Poche de Chambois. » Mes grands-parents étaient suffisamment connus dans le village pour me servir de « sésame », pour me faire ouvrir les portes de Chamboisiens et de Félois ayant vécu ces événements. Joseph Lisowski, Ferdinand Bezard, Raymond Marais, Albert Bourillon, Gaston Onfray, Gérard et Paulette Gondouin eurent la gentillesse de me conter leurs histoires, surprenantes, poignantes, parfois douloureuses… Autant de récits qui m’ont permis de mieux cerner le drame de ces civils coincés au cœur même d’une bataille, sous un déluge de feu et d’acier…
Fin 2012, cinq de ces témoins n’étaient plus de ce monde.
A chaque décès, à chaque disparition, c’est une mémoire qui s’évanouit dans le néant, une voix qui s’éteint à jamais. C’est un pan de notre histoire locale qui s’effondre peu à peu… C’est cette mémoire que j’ai voulu sauvegarder. Et c’est ainsi qu’est né ce projet de livre, un projet qui me tenait particulièrement à cœur de retrouver de nombreux témoignages, oraux et écrits, pour faire revivre ce passé en l’étendant aux onze villages de la poche [Aubry-en-Exmes ; Bailleul ; Chambois ; Coudehard ; Fel ; Montormel ; Neauphes-sur-Dives ; Saint-Lambert-sur-Dives ; Tournai-sur-Dives ; Trun ; Villedieu-les-Bailleul].
Il ne s’agissait pas pour moi de faire un énième ouvrage sur la poche de Falaise. Il fut déjà tellement écrit sur la bataille de Chambois, sur le « Chaudron infernal », sur le « Stalingrad de Normandie »… Les enjeux militaires, les stratégies et le matériel des différentes forces en présence, tout cela a déjà été analysé, étudié par Eddy Florentin, Georges Bernage, Jean-Pierre Benamou, Didier Lodieu et tant d’autres… Mon ouvrage n’apporte rien de nouveau sur ces champs de recherche. Ce qui m’intéressait, c’était de faire revivre la bataille, non du côté des soldats, mais des civils… J’ai voulu plonger le lecteur dans l’événement, lui faire comprendre, autant qu’il était possible, comment les civils ont subi ce déchaînement de violence, comment ils se sont abrités, protégés, nourris, entraidés au milieu de la fureur des combats. J’ai voulu expliquer comment les habitants ont pu survivre par la suite dans ce champ de désolation, ce charnier à ciel ouvert, comment ils sont parvenus à reconstruire leurs villages au milieu des ruines et des cadavres.