Les épidémies de 1720 et de 2020
Dans mon dernier roman « Confesse – le destin d’un prêtre libertin« , mon héros Armand de Penthou se trouve en 1720, au cœur de la ville de Marseille alors que l’épidémie de peste y fait des ravages. Loin de moi l’idée de vouloir mettre sur un même plan les effets de la peste de 1720 et ceux de la pandémie de Covid-19 en 2020 (les mortalités de ces deux maladies ne sont pas du tout comparables) mais j’ai retrouvé des comportements similaires chez les contemporains de ces deux maux… et c’est parfois un peu troublant de voir que, malgré trois siècles d’écart, les attitudes changent peu… Je pense que vous ferez le parallèle facilement…
– En 1720, alors que la peste fait ses premières victimes, les édiles de la ville tardent à mettre Marseille et son port en quarantaine, de peur de mettre en danger l’économie locale (mais il faut dire que la plupart des édiles sont aussi des négociants qui vivent du commerce avec le reste des ports méditerranéens), ce qui ne fera qu’aggraver la situation.
– Les riches bourgeois de Marseille fuient la ville dans leurs bastides de l’arrière-pays au risque d’y propager le mal.
– La peur d’attraper la peste pousse certains Marseillais à fuir tous ceux qui avaient pu approcher de près ou de loin des malades : on évite les portefaix ou les corbeaux (la plupart du temps des galériens) qui ont porté des pestiférés, on évite des religieuses qui ont accueilli et nourri des malades, on évite certains prêtres qui ont donné les derniers sacrements à un mourant (même si on avait inventé des pincettes de plus d’un mètre pour donner l’hostie à « distance » ou des baguettes tout aussi longues pour appliquer les saintes huiles sur les fronts).
– La peur pour les agonisants de mourir seuls, loin de leurs proches, et de ne pas avoir droit à un enterrement décent sans cortège funèbre, ni même d’avoir un prêtre pour les bénir (et en plus d’être inhumé dans une fosse commune à l’époque).
– Même si internet n’existait pas encore, les rumeurs pouvaient se propager tout aussi vite, notamment sur des remèdes censés être miraculeux comme le « vinaigre des quatre voleurs. » Faute de médicaments, on utilisait divers moyens pour repousser le mal : « brûler chaque jour une once de soufre dans les maisons, toutes fenêtres closes, en étendant dans la pièce principale les habits portés depuis le début de l’épidémie dans l’espoir de purifier l’air empesté » ou « se frictionner les mains et le visage de vinaigre pour repousser la malignité de l’air ».
– Le pouvoir royal ordonne le blocus du terroir de Marseille pour que la contagion ne gagne pas plus de terrain : « Sa Majesté fait très expresses inhibitions et défenses aux habitants de la ville de sortir hors desdites limites ou barrières et d’en transporter aucune marchandise ni denrée à peine de vie. » L’armée est chargée d’empêcher quiconque de quitter la zone infectée. Mais ce confinement forcée ne plaît pas à tout le monde. Quelques uns tentent de forcer le blocus ou même soudoient les gardes pour qu’ils les laissent passer.
Mais les parallèles s’arrêtent là car nous ne pouvons comparer par exemple les médecines des deux époques : en 1720, les médecins (aussi inefficaces que ceux décriés au XVIIe siècle par Molière) ne peuvent rien faire alors qu’en 2020, tous les soignants se dévouent pour leurs patients avec des moyens modernes (mais si parfois en nombre insuffisants). En 1720, certains
médecins font pourtant preuve de dévouement même s’ils sont impuissants (au bout des 45 premiers jours d’épidémie, sur 12 médecins agrégés, quatre ont fui la ville et cinq ont succombé : ils n’en restent plus que trois à œuvrer pour leurs patients).
De plus, devant l’hécatombe, l’anarchie règne : il a été signalé que certains gardes se faisaient parfois payer par des Marseillais pour qu’ils laissent les corbeaux entrer dans les maisons pour enlever les cadavres de leurs proches ou même que certains forçats achevaient des mourants pour pouvoir les voler en toute impunité.
Et surtout, la mortalité n’est pas comparable : les premiers cas de peste sont signalés le 9 juillet 1720… le 23 juillet, on parle de 14 morts en une journée ; vers le 2 août, on est à près de 50 morts par jour ; vers le 2 août, on est à près de 100 morts par jour ; vers le 15 août, 300 morts par jour ; vers le 20 août, 500 par jour ; de fin août à mi-septembre, on est à 1000 par jour ; puis le nombre de décès fléchit mais du 30 septembre au 10 octobre, on est encore à 200 par jour…